Atelier Petit Grain,  14 septembre 2015 


Consigne  (par Marie-Madeleine) :

           

     1°    Imaginez  une île sur laquelle vous allez  devoir  vivre pendant quelques jours et décrivez-la en cinq minutes sur un                      papier indépendant.


« C’est une île, toute en longueur. Les rochers affleurent l’eau avec un tapis végétal (le guano des nombreux oiseaux marins qui y nichent, laisse pousser une végétation rase de plantes épineuses.)

Cette île est surmontée d’une forteresse aux épais murs de béton d’où sortent des ferrures et des crevasses dans lesquelles se sont fichées des algues brunes et de la mousse. 

Le béton est marqué de gigantesques lettres en écriture japonaise… »    par Samuel

 

     2°    Faites passer la description de cette île à votre voisin.

     3°    À partir de cette description proposée par votre voisin, imaginez votre séjour dans cette île en sélectionnant cinq objets                au minimum choisis dans la liste ci-après...................., qui vous permettront de vivre dans cette île.

     4°    Racontez votre séjour dans cette île…

 

L’ île d’Atlantique

par Marie-Madeleine DEZON


Alors là… je ne m’attendais pas à ça !

La mission pour laquelle mon patron du CNRS m’avait envoyée dans cette petite île du nord de l’Atlantique pour y répertorier les différentes catégories d’oiseaux migrateurs faisant escale sur cette île n’avait, en effet, pas grand-chose à voir avec la réalité de ce qui m’attendait, ni avec ce qui m’avait été dit (entre deux phrases sibyllines, il est vrai) concernant mon séjour sur ce morceau de terre entouré d’eau, entre rochers, algues en putréfaction, et une étrange forteresse dont le donjon me toisait du haut de ses dix mètres cinquante sans que je comprenne d’où il sortait, ni à quoi il servait : Pierres accumulées comme à la conquête du ciel dans une sorte de défi babylonien, épais murs de blocs battus par les marées, construits comme si aucune tempête ne devait jamais les détruire.

 …Bref, le paysage était pour le moins surprenant et je commençais à me dire que je m’étais faite piéger !

(Je me dois quand même de préciser que le patron m’avait annoncé une prime spéciale pour cette expédition…! - j’aurais dû me méfier !)

 

Avant la découverte de mon lieu d’investigation et des conditions quelque peu aléatoires de mon séjour, chercheuse consciencieuse, j’avais préparé mon sac en y enfournant pêle-mêle une couverture de survie, une gourde remplie de whisky au cas où le moral serait en berne, un canif pour dépecer les poissons dont j’imaginais que j’allais devoir me nourrir, un carnet de notes et un appareil de photos. C’était essentiel sans doute, mais certainement pas suffisant pour un séjour dont on ne m’avait pas précisé la durée.


J’allais le savoir très vite puisque, dès mon arrivée, le pilote de l’hélicoptère chargé de me déposer sur ce bout de terre sans nom, me fit un clin d’œil moqueur et me cria entre le bruit des pales de son appareil, « bon séjour à toi et ne te laisse pas empoisonner par la fiente des oiseaux. Si t’es encore vivante, je te reprends dans huit jours. » 

— La vache ! Quelle solidarité ! me dis-je.

J’avais donc huit jours pour mener ma mission à bien. Seule, totalement seule. Et sans les copains pour me border le soir sur mon lit de varech…


 Mais pas question de me laisser  envahir par l’angoisse ! 

Aussi, après réflexion, je pensais que le mieux serait d’abord de faire le tour de l’île et de noter scrupuleusement toutes les catégories de volatiles nichant çà et là entre les rochers et les pierres de la forteresse. 

Toutefois, très vite, mon attention fut irrésistiblement attirée par  la masse imposante du donjon qui se dressait devant moi avec un rien de provocation au regard de ma petite taille. 

Étrange construction à la date incertaine, pité tel un phare aveugle  au cœur de l’océan auquel aucun navire ne se fierait jamais.

Les pierres en étaient recouvertes d’une matière verdâtre qui ressemblait étrangement à de la fiente d’oiseaux qui, en tombant, se serait appliquée à dessiner des hiéroglyphes - message sibyllin que seul le marin en perdition, et égyptien de surcroît, saurait déchiffrer.

En observant de plus près, je constatais des réitérations dans le dessin comme si quelqu’un avait repris avec un stylet le premier dessin et s’était amusé à le dupliquer, avec ici ou là, quelques variantes, de façon à ce que le message se répète presque indéfiniment jusqu’en haut de la tour et soit lisible à l’œil éduqué de près ou de loin (ce qui ne pouvait pas être un pur effet du hasard).

Histoire de me rassurer devant ce spectacle inattendu qui témoignait que des hommes avaient vécu là, je me racontais qu’à l’époque du bas Moyen Âge, des corsaires avaient investi l’île, y avaient construit une forteresse qui deviendrait leur QG et dans les souterrains de laquelle, ils mettaient à l’abri le butin de leurs opérations « BARBE BLEU. »

( Je m’imaginais aussi qu’ils avaient hésité sur la dénomination des dites opérations entre « opération Barbe-Bleue » et opération « Barbe à Papa », et qu’ils avaient décidé que « Barbe Bleue », ça faisait plus sérieux que « BARBE à PAPA » !)

Perdue dans mes rêveries de gamine, dignes du « club des cinq »,  je ne pus m’empêcher de penser à  mon patron du CNRS.

Il était peu probable, que croulant sous son travail, il ait le loisir d’imaginer son assistante, abandonnant sa mission de chercheuse ornithologue au profit d’une recherche sur la calligraphie égyptienne  dont s’occupait le labo d’à côté, (plus précisément spécialisé  dans la période du « bas Moyen Âge »).

Or, il se trouve que ce labo se désespérait de n’avoir toujours pas obtenu les financements nécessaires au montage d’une mission dans une île perdue au cœur de l’Atlantique, mission qui pourrait lui fournir des informations essentielles à l’avancée de ses recherches.

C’est du moins ce qu’on lui avait raconté et elle n’avait pas cherché à en savoir plus.


Mais il faut préciser, qu’en cette période de vaches maigres, on ne lésinait pas sur les petites magouilles et services qu’on se rendait d’un labo à l’autre pour mener un projet à bien (du moins quand les rivalités  entre chercheurs n’empêchaient pas d’envisager toute forme de collaboration). C’était également sans compter avec le fait qu’on avait repéré  chez la jeune chercheuse que j’étais des compétences qui débordaient très largement celles nécessaires à la seule ornithologie. En effet, j’avais consacré quelques années d’études à l’écriture égyptienne et à son évolution, avant d’avoir opté pour l’ornithologie (à chacun ses errances d’orientation !)

 De cela,  j’avais peu parlé, mais il m’en restait une passion du déchiffrage  et de la quête  du sens inconnu  qui n’avait échappé à personne, ni, en particulier, au patron du labo voisin qui avait dit à son collègue : « Tu me la prêteras, Gustave, quand j’en aurai vraiment besoin » (curieux échange entre intellectuels  qui ressemblait étrangement à une conversation entre deux mecs de la Crim. à la veille d’une opération mafieuse...)


...Et maintenant j’étais là, au pied de ce donjon qui me paraissait receler dans ses pierres quelques obscurs secrets. Cela réveilla très vite ma passion du déchiffrage et mon goût pour débrouiller les énigmes.

Abandonnant mes rêveries d’adolescente et mes références au « club des cinq », je me concentrais pour réactiver mes connaissances et m’appliquer à transcrire cet Égyptien du très bas empire que j’avais sous les yeux.

C’est alors que je lus :

    « Tu es le bienvenu ici, Père de nos pères, frère de nos frères, sœur de nos sœurs, navigateurs  impénitents  sur nos mers incertaines. La richesse du monde n’est qu’une toute petite porte pour entrer dans le temple. Enfonce-toi dans le labyrinthe jusqu’à ce que la lumière t’éclaire. Fais trois pas sur la gauche et deux sur la droite. Là tu t’arrêteras et attendras que le dieu des mers te fasse signe. »


Alors là ce fut la dégringolade. Les lettres dansaient sous mes yeux . La tour prenait l’air d’un aigle en mal d’envol et ressemblait à la tour de Pise à la veille de s’effondrer. 

Je venais de découvrir  le code,  et la cachette de trois caisses  pleines à craquer d’or et de bijoux de toutes sortes entre quelques carcasses d’oiseaux et une armée de crabes qui me chatouillaient les orteils…!  


…Quand elle se réveilla, sa couverture de survie trempée et tous les muscles de son corps tétanisé sous l’effet du froid, le donjon ne s’était pas effondré et les petits gâteaux de survie n’étaient plus que de la bouillie.

Elle se frotta les yeux, se demanda où elle était et qu’elle était dans cette histoire la part du rêve et de la réalité.  


Le téléphone sonna. Elle y répondit par un message minimal :

 « Mission accomplie, mais hors contrat ; on en reparlera…  Maintenant, je rentre ; préparez-moi un café bouillant. »  

 

signé  : LAURA,  votre assistante dévouée…