L'équarisseur

D'où sortent-elles

ces lourdes silhouettes rouille ?

Et qu'augurent-elles

immobiles et seules

percées de trous polis ?

Le commandeur public a dit : "nous en prendrons vingt" !

Et lui serrant la main

clignant de l’œil

l'artiste a ricané.

D'un moule il a formé une vingtaine de corps.

C'est l'homme universel

dur et sec, métalleux

la carcasse recouverte d'un antioxydant.

Respirer lui serait fatal.

Planté sur le béton comme on empale les morts

il figure les humains,

prisonniers dans les villes.

Son sexe calibré ne bande pas.

Il pend.

L'homme ne marche plus : il stationne.

Il pose. Il guette le "garde-à-vous !".

Quelques toujours-vivants

ont tenté de le rendre singulier,

de lui accorder une trace de caractère,

aumône d’humanité.

Ici écharpe, ici peinture, là un collier, perles plastique.

Le marchand d'art bientôt

ou bien le policier

le citoyen zélé

ou peut-être un enfant

viendront lui retirer

ces attributs discriminants.

C'est l'homme générique.

Il envahit la ville.

Il brise l'imaginaire de ses membres de fer.

Il annonce l'arrivée de cargaisons hurlantes

de wagons déchirant

Touraine et Poitou

Charentes et Gironde.

Et jusqu'aux Pyrénées ! promet l'aménageur.

Équarrisseur du temps

il ovationne le monstre.

Partout pourtant

il efface l'unique.

Il rend l'homme superflu.

C'est lui, le métalleux,

qui les regarde sortir,

vomis par les grands trains sur un plateau d’échecs

simples pions en transit.

Interchangeables.

C'est lui, le métalleux,

qui les regarde sortir,

Témoin du sacrifice

des hommes

aux machines.