Anne-Marie BOURON


les portraits,

30 octobre 15



J’ai mis l’église dans ma poche et je suis parti en oubliant mon parapluie. Ce n’était pas très grave, il ne pleuvait pas. Arrivé chez moi, j’ai fait comme d’habitude, le repas, la vaisselle, la tisane devant le feu… Puis je me suis couché. 

Le lendemain, j’ai voulu laver mon pantalon, donc, j’ai vidé ses poches. De celle de droite, j’ai sorti l’église. Elle s’est déployée autour de ma maison et l’a engloutie. 

Beaucoup de passants se sont attroupés devant. Certains disaient : « mais il n’y a jamais eu d’église ici ». D’autres soutenaient qu’elle avait toujours été là. Je les ai laissé s’écharper et j’ai continué ma petite vie. 

Alors les passants s’en sont pris à moi : « cela ne se fait pas d’habiter dans une église » « c’est irrespectueux » « c’est sacrilège ». Ils m’ont rendu la vie impossible. J’ai été obligé de déménager.






Après l’exposition du photographe Arnaudin au Musée, 

31 octobre 15



Le chemin se perd. Il tourne légèrement en allant vers l’horizon. On n’en voit pas la fin. Il est bordé de platanes. Au loin, les troncs se font plus petits mais ils tiennent. Grands ou petits, ils équilibrent  le sol et habitent le ciel. Verticalité des troncs et embrouillamini des frondaisons. L’individualité se perd dans la grande communauté des branches. Feuilles ou pas ? Quelques-unes sans doute, quelque chose de fondu dans le ciel. 

Mais c’est le bas qui enracine le haut. En bas, le singulier. Une infinité de singuliers. En haut un seul pluriel. Cette individualité, cette puissance se dissout dans un ciel de branches, un ciel de feuilles. Ce ciel piqueté de feuilles est, en fait, un ciel étoilé de jour. Il rend à ras bord la lumière qui lui a été donnée. 






Avec les mots trouvés dans les livres et choisis par le voisin,

1er novembre 15



Le poète aime les métamorphoses et les détresses ne lui sont jamais étrangères. Elles tournoient au-dessus de sa tête. De temps en temps, il en attrape une et l’observe sous le microscope de sa plume avec minutie. Les détresses sont le sel de sa vie mais il ne s’y complaît pas. Simplement, elles viennent à lui naturellement. Bien sûr, il aime aussi la joie, le soleil et le rire.

Le poète accueille ; c’est sa vocation, sa raison de vivre. Pourtant, parfois il a des trous, des trous dans sa tête et dans son corps. On ne peut pas être poète sans avoir de trous. Mais ces trous permettent les vibrations de l’air où passe une petite musique. Parfois, elle ne vient qu’à regret, mais elle vient toujours. Avec le temps, elle a un goût plus prononcé, un goût de fruit mûri sur l’arbre, un goût de travail bien fait.